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Quand il me fit découvrir sa machine dans son hangar, j’avoue que je ne m’attendais pas à cela...

Une sorte de grosse turbine d’avion couplée à un vaste cockpit fuselé, pouvant emmener deux personnes à son bord.

J’avais bien ri quand il avait commencé à me parler de son projet, il y a de ça plusieurs décades.

Je n’imaginais pas que ses divagations étaient sérieuses et qu’il comptait vraiment mener à bien cette expérience. Certes, on avait tout deux étudié toutes les théories de distorsions du temps, mais de là à prétendre…

Même si je sais maintenant qu’à une époque Titus Crow et Marigny avaient voyagé dans l’espace-temps à bord d’un engin ressemblant à une sorte d’horloge, tout cela restait tout de même entouré de mystères et résonnait plus comme une légende.

Herbert était excité comme une puce, étalant ses plans et ses calculs sur sa table de travail, dans une frénésie fiévreuse. Je sentais des frissons me parcourir, balançant mes sensations entre ivresse et vertige fasse à l’assaut enthousiaste de mon ami.

Nous allions pouvoir accomplir notre destin. Mais quel destin ? Tout ce qu’il me livrait à cet instant ne m’ouvrait rien d’autre qu’un monde d’interrogations, ou plutôt de nombreux mondes. Je buvais ses paroles, me rassasiais de ses convictions et l’angoisse de l’inconnu m’étreignait.

- Nous mènerons notre première expérience commune demain soir. De plus la météo s’annonce clémente, donc les flux ne devraient pas être trop électrisants.

- Mais je n’ai rien prévu d’aussi précipité, peut-être devrais-je prévenir mes proches, au cas où. Je dois aussi digérer tout ce que tu viens de me servir.

- Sans façon. Je te connais trop bien pour te laisser prendre trop de recul. Tes

angoisses maladives risqueraient d’y mettre un frein. En plus nous ne ferons qu’un

petit aller-retour, histoire de voir si tu encaisse bien les soubresauts de ce genre de voyage.

- Je n’ai effectivement jamais été à l’aise dans les transports, et cela quel qu’ils soient. Mais qu’en est-il réellement du confort de ce genre d’engin ?

- Ne sois pas inquiet, je l’ai parfaitement équipé pour que l’on s’y sente comme des

coqs en pâte. Tu seras surpris. J’ai moi-même déjà fait plusieurs essais de courte

distance. Demain servira à enregistrer et analyser les variables d’un déplacement

avec deux personnes à bord pour peaufiner la stabilité gravitationnelle.

- Malgré toute la confiance que j’ai en toi et tes travaux, je sens bien la peur monter en

moi.

- Puisque je te dis que je l’ai déjà fait. Allez, abandonne tes craintes. Prends ceci, c’est

une liste de ce que tu peux prévoir d’emporter.

- Mais, ne devrais-je pas étudier tout ça un peu plus avant, afin de me familiariser…

- La pratique sera ta meilleure leçon. Il n’y a plus de place pour le doute. Tiens si tu

veux, prend ce carnet de notes, tu trouveras là les résultats de mes tentatives, ce

qui repoussera tes dernières hésitations.

- Je ne sais si j’ai raison de vouloir te suivre dans cette douce folie, mais tu sais très

bien que ma curiosité sera ma meilleure arme.

- Oui, rentre chez toi, compulse mes notes, mais n’oublie pas de te reposer au

maximum, car les premières fois sont assez fatigantes, mais tu verras que l’on en

prend vite l’habitude.

J’ai quitté Herbert avec ce sentiment mêlé d’une peur d’affronter ces univers inexplorés et de ma soif de découverte. J’ai pris un taxi pour rentrer et me félicitais de n’être pas venu ici par mes propres moyens car je me sentais trop fébrile pour prendre le volant et rester concentré. Arrivé chez moi, je décidais de me reposer, comme il me l’avait conseillé, j’aurais toute la journée pour me préparer et parcourir ses annotations. Je passais une nuit agitée entre sommeil profond et rêves stressants. Je ne me suis donc pas levé tôt, mais j’étais plus serein que la veille. Après un bon café noir, je m’installais pour parcourir ces fameuses données.

Ses premières tentatives avaient été vraiment de très courte durée. D’abord quelques minutes, puis des heures, en avant et en arrière. Puis ce fut des jours et des semaines avec une pointilleuse efficacité à revenir cinq minutes après chaque heure de départ, et cela quel que soit le temps parcouru. J’étais vraiment étonné de la précision de ses calculs. Cette machine semblait avoir des capacités d’analyse impressionnantes et ce jusqu’aux derniers essais en date qui parlait de décalage spatiaux-temporel maitrisé par l’ajout d’un nouvel algorithme. Seule constat, un retour décalé de plusieurs minutes par rapport à ce qu’il avait programmé, concluant que plus il s’éloignait de notre espace, plus la précision du retour était difficile à évaluer. Ainsi, à la dernière exploration, trois jours s’étaient écoulés au lieu des cinq minutes escomptées, et ce pour le même temps de voyage. C’en était assez pour m’angoisser de nouveau, car il était évident que l’on ne se contenterait pas de faire que quelques bons dans le temps. Je passais donc une partie de l’après-midi à ruminer cette pensée. Je suis retourné chez Herbert en taxi, une heure avant notre départ prévu.

- Ah, te voilà. J’aurais cru que ta curiosité te pousserait à venir plus tôt.

- Bonjours Herbert…

- Oui, bonjour, désolé, mais comme tu le vois je finis de paramétrer nos essais.

- Quelque chose me dit que ce ne sera pas qu’un simple test, n’est-ce pas ?

- Toujours aussi perspicace à ce que je vois. Non nous ne nous contenterons d’un

simple déplacement linéaire si c’est ce que tu sous-entends.

- C’est bien ce qui me fait peur…

- Ne t’en fais pas, tout est sous contrôle, comme on dit dans ces cas-là. Allez détends

toi, le supercalculateur est capable de réajuster constamment sa trajectoire, et ce

quelles que soient les turbulences du flux temporel que l’on puisse affronter.

- Oui, je veux bien le croire, mais il reste la variable de l’inconnu.

- Comme dans toute aventure mon cher, et dans la principale que nous menons, celle

de la vie. L’inconnu n’est-il pas là pour mettre à l’épreuve tous les plans établis ? Ce

paramètre nous colle à la peau tous les jours, dès que l’on pose le pied par terre, au

réveil. Mais, si tu ne te sens pas encore assez sécurisé…

- Non, si c’était le cas, je ne serais pas ici, mais je me garde quelques inquiétudes.

- Si ça peut te rassurer, moi aussi. Il faudrait être fou ou inconscient pour ne pas avoir

la moindre appréhension et c’est ce qui pimente un peu tout ça. Viens, il est temps

de s’installer.

Je pénétrais ainsi dans notre véhicule temporel, posais mes affaires dans une trappe prévue pour nos effets. L’habitacle était finalement assez simple. Deux fauteuils spacieux, que l’on pouvait basculer à l’horizontal, si le besoin s’en faisait sentir, faisaient face au tableau de commandes, une table ronde pouvant faire office d’écran placée un peu en arrière et de multiples rangements soigneusement verrouillés, ainsi qu’une bibliothèque, ce qui me fit sourire vu que l’on était également équipé de liseuses électroniques déjà bien garnies. Le tableau de bord me parut succin par rapport à la complexité que devait demander le pilotage d’un tel engin. Pas de volant, ni de manche, ce qui m’étonnait fortement.

- Je devine d’avance tes interrogations. Voici comment on dirige le vaisseau. C’est par

l’intermédiaire de ce casque électromagnétique qui se synchronise par ces petits

picots à notre circuit neuronal. Il suffit ensuite de surveiller que quelques cadrans

indicateurs. Il y a là une manette qui permet d’ajuster la pression de la cabine en

fonction des renseignements de notre ordinateur, ce qui peut être aussi automatisé

et cet interrupteur permet purement et simplement d’activer le retour à notre point de

départ. D’ailleurs mets-le, ça te permettra de faire la connaissance de Mary, notre

navigatrice.

- C’est ainsi que tu as nommé ton supercalculateur ?

- Oui. Active le casque avec le bouton à ta gauche.

Je m’étais confortablement installé dans mon fauteuil. Je ressentis un foisonnement de micro-picotements fourmiller sous mon crâne. Rien de douloureux malgré mon appréhension mais une frénétique envie de me gratter le cuir chevelu, sans la possibilité évidente de m’en soulager. Herbert m’indiqua, sur un écran, le suivi de ma synchronisation et me fit remarquer que j’étais très réceptif, comme il s’y attendait. Une fois tous les voyants cognitifs au vert, il mit fin à cette étape.

- Alors, comment te sens-tu ?

- La sensation est difficilement descriptible, mais ça va, je dirais même que je me sens

quelque peu euphorique.

- Plus de démangeaisons ?

- Au début oui, mais plus maintenant.

- C’est bien. Quoi qu’il arrive tu pourras désormais piloter si mon remplacement est

requis.

- Mais je ne sais pas commander cette machine…

- Si, car à ton insu, la synchronisation s’est faite dans les deux sens et les directives

de pilotage sont profondément ancrées dans tes cellules mémorielles. Si l’occasion

se présente tu t’en rendras compte par toi-même. Allez, je me connecte car il est

temps de se lancer.

Je m’enfonçais au plus profond de mon siège cherchant à verrouiller ma ceinture, même si Herbert me confiait qu’elle n’était pas nécessaire. Assis à mes côtés, il arborait un grand sourire en activant deux trois boutons du tableau de bord. L’éclairage s’estompa quelque peu et je ressentis une légère secousse. Dans mon dos, le cerveau, ou plutôt Mary, ronronnait doucement. Les deux verrières latérales se refermèrent avec douceur et devinrent opaque, terminant leur course dans un cliquetis sec.

- La fermeture est totalement hermétique et pressurisée et la turbine tourne tellement

vite que l’on en ressent à peine les vibrations, seul se léger vrombissement nous

rappelle qu’elle est en route. Voudrais-tu boire quelque chose ? j’ai là une très vieille

et bonne cuvée écossaise très spéciale que j’ai ramenée d’un de mes déplacements.

- Je ne sais si l’alcool est un bon conseillé. Quand partons-nous ?

- Depuis dix minutes… tu ne t’en es même pas rendu compte, n’est-ce pas ? Viens

approchons-nous de la table.

Je me levais en prenant soin de décomposer mes mouvements et m’assurant de bien poser mes pieds à plat. Herbert m’observait d’un air amusé.

- On dirait un chat marchant dans la neige.

- Moques-toi de moi.

- Tiens, trinquons à notre témérité.

J’absorbais une première gorgée du liquide ambré que m’avait servi mon ami. L’effet ne se fit pas attendre, l’incendie se rependit très vite de ma gorge à l’intégralité de mon œsophage. Dissipé aussi rapidement qu’il s’était allumé, il me laissa un arrière-goût de noisette. Je sentais mes joues en feu devant l’air hilare de mon comparse. Sur l’écran défilait une multitude de graphiques que je déchiffrais sans difficulté.

- Nous allons bientôt désocculter et contempler notre première destination.

- Où ? enfin, plutôt, quand ?

- Les deux mon général… Nous resterons à distance, en suspension, ça va de soi.

- En suspension ?

- Oui, c’est une autre capacité de notre engin, ce qui permet de ne pas être aperçu.

Nous pourrions rester occultés, mais on perd de la netteté sur l’image. Nous restons

donc en suspend sur le fil du temps et observons à notre gré.

- C’est fabuleux. Et où sommes-nous ?

- Regarde.

Je me penchais vers la table.

- Non, regarde les verrières vont nous afficher les images de la caméra extérieure.

Je vis apparaître sur ma gauche la zone où nous nous étions immobilisés. On distinguait clairement un chapiteau ouvert et une multitude de petites fourmis qui s’affairaient tout autour. Mon ami m’équipa d’un casque plus léger. Je déclenchais aussitôt, presque involontairement, un zoom sur la place. Je voyais nettement maintenant une ribambelle d’animaux divers, un équilibriste répétant son tour sur un câble tendu à l’extérieur et au milieu de la piste encore à ciel ouvert, un jongleur se jouant d’une double paire de torches enflammées.

- Nous sommes en 1874, au début de l’implantation du grand cirque Barnum à

New-York.

- C’est prodigieux. Alors que l’on était en Angleterre il y a seulement…

- Onze minutes et quinze secondes, pour être exact. Tu commences à comprendre la

portée d’une telle invention. Revisiter l’histoire de l’humanité, où et quand que ce

soit ou se jeter dans l’exploration inconnue de l’espace-temps. Tu reprendras bien

une gorgée de ce somptueux breuvage ?

Sous le coup de l’émotion, j’absorbais le contenu de mon verre machinalement, d’un trait, ce qui faillit bien m’être fatal. Herbert faillit s’étouffer également de rire devant mes yeux larmoyants.

- Ouah ! Je ne veux même pas savoir de quelle époque tu l’as ramené celui-là.

- Non, saches juste qu’il est plus vieux que nous deux réunis. Ah, si tu voyais ta tête,

tes pommettes ont repris une sacrée couleur. Allez, après cette mise en bouche,

nous allons passer aux choses sérieuses.

Je fixais mon ami et le doute qui me traversa l’esprit me fit pâlir.

- Je ne me permettrais pas, me dit-il, de te mener en bateau. Tout ceci est bien réel, et

tout ce que nous venons de voir, est nullement un enregistrement. Je comprends

qu’une telle pensée puisse t’effleurer tant cela paraît incroyable, mais ce qui va

suivre devrait finir de te convaincre.

- Mais comment as-tu su que…

- Nos casques, s’ils nous permettent de communiquer avec la machine, ils nous

mettent fatalement en réseau.

- Il nous suffirait de penser pour se parler en fait.

- Oui, mais je ne crois pas que cela serait si amusant, de plus, la parole force à se

concentrer alors qu’il serait si simple de s’évader en pensées. Retournons nous

installer et inutile de mettre ta ceinture.

- Disons que ça me sécurise tout de même un peu.

- Soit. Nous allons changer cette fois de fil conducteur et faire un saut sur un espace

parallèle au notre.

- J’ai encore du mal à y croire.

- Tu as pourtant lu mes notes, et tu verras que les autres mondes ressemblent

étrangement à celui que l’on connait, à quelques détails près.

Les verrières s’obscurcirent et l’éclairage baissa de nouveau. Le vrombissement de la turbine se fit plus intense. Sur le tableau de bord, une nuée de courbes se mirent à danser. Je m’agrippais inconsciemment au fauteuil.

- Décontractes-toi. Un autre verre te ferait peut-être du bien ?

- Je ne prendrais même pas le temps de répondre à cette boutade.

Je sentais de petites secousses de plus en plus rapprochées et me tournais vers Herbert.

- Ne t’inquiètes pas il semblerait que l’on traverse une légère perturbation magnétique,

ce qui peut arriver. Mary gère tout ça, d’ailleurs je vais nous faire dévier en

accélérant.

Malgré sa volonté de paraître serein, je voyais bien que cela l’inquiétait. Je voulais consulter moi-même l’ordinateur mais mon accès était bloqué. Deux violentes secousses s’ensuivirent. Si j’étais fermement maintenu, mon ami faillit bien tomber de son siège. Je le vis tenter de boucler sa ceinture et quand nos regards se croisèrent, je compris que l’on était en train de perdre le contrôle.

- C’est une saloperie de tempête qui nous arrive dessus et elle perturbe déjà Mary.

C’est à cet instant que tout bascula. On se retrouva plongé dans l’obscurité et me cramponnait de plus belle. Je ne savais pas s’il avait pu se verrouiller sur son fauteuil. Cette fois on tanguait violemment et virevoltions dans je ne sais quel continuum.

Plongée dans l’obscurité la plus total, la cabine était parcourue d’arcs électriques. Dans un des soubresauts j’avais entendu distinctement un bruit de chute mat derrière mon siège. Je fermais les yeux, serrais les dents, et priais je ne sais quel dieu, auquel un athée tel que moi pouvais essayer de s’agripper, de nous sortir de là, d’autant que j’avais totalement perdu le fil de mes pensées et encore plus de celles de mon collègue. La tempête nous brinquebalait et s’arrêta aussi soudainement qu’elle avait commencé. On venait surement de vivre une situation qu’aucun autre n’avait vécu auparavant. Une fois stabilisé, le ronronnement du moteur avait repris son rythme. Ce qui m’avait paru une éternité n’avait duré que quelques secondes. Mais quelles secondes ? J’étais encore dans la pénombre et déverrouillais fébrilement ma ceinture. Je voulu me mettre debout mais me retrouvais plaqué au sol, comme si la main d’un géant me maintenait. J’appelais Herbert, ne sachant pas trop si je le faisais en pensée ou en criant, mais seul le silence me répondit. Une vague amorce lumineuse me fit apercevoir son corps à terre, non loin de moi. Je rampais difficilement vers lui, pétrifié de peur, quand les verrières s’ouvrirent…

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