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Avant, j'étais toujours triste.

Triste comme... Comme quoi, d'ailleurs ?

Pour m'arracher un sourire, il fallait se lever tôt.

Ma vie n'était pas franchement morose mais elle n'était pas exaltante non plus.

J'étais né un jour d'automne. J'ai grandi dans une famille banale. J'ai suivi une scolarité normale. Parvenu à l'adolescence, je devais me décider sur un métier qui déterminerait la suite de mes études. Je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire.

Même petit, je n'ai jamais rêvé d'être pompier, policier ou aviateur.

Je me contentais de vivre.

Au collège, j'étais moyen en tout. Je n'excellais nulle part. Je n'étais pas franchement sportif. J'avais deux mains gauches. Je me voyais mal dans un métier manuel et intellectuellement, sans être idiot, je ne parvenais jamais à me concentrer plus de 10 minutes. Je passais mon temps à rêver d'un monde meilleur.

Ce n'est pas parce que je donnais l'impression de porter toute la misère du monde sur mes épaules que je ne pensais pas au bonheur. Au contraire. Sous mes airs tristes, je ne supportais pas le chagrin, les peines et les larmes. Je réconfortais tous mes camarades. Je prenais un air compatissant avec tous ceux qui me racontaient leurs malheurs. Je faisais preuve d'empathie.

Au lycée, je me suis retrouvé, un jour, face à un jeune conseiller d'orientation. Il portait des petites lunettes rondes, un joli costume et une cravate. Il avait l'air sympathique. Mais comme les autres, en me regardant, il a soupiré bruyamment. J'observais souvent ce genre de réaction chez tous mes interlocuteurs depuis déjà longtemps. Même ma mère a dû me mettre au monde en soupirant.

Quand j'ai fini de lui raconter ma vie et ma façon de fonctionner, j'ai bien ressenti chez lui une grande lassitude qui le gagnait. Au bout d'une heure, il n'avait aucune idée pour m'aider à construire un projet professionnel solide.

Quand j'ai pris le chemin du retour me ramenant à la maison, j'étais encore plus abattu que d'habitude. Je marchais les épaules basses, le dos voûté, la tête rentrée et je traînais les pieds lorsque mes yeux se posèrent sur un caillou.

Je me suis arrêté pour le regarder. J'avais une envie terrible de le ramasser.

Le caillou : « Eh bien, ramasse-moi ! Ne te gêne pas !

Moi : - Pourquoi faire ?

Le caillou : - Pour me mettre dans ta poche. Tu en meurs d'envie.

Moi : - Tu veux que nous soyons amis ?

Le caillou : - Oui. Moi aussi je suis triste. C'est bien connu. Être triste comme les pierres n'est pas une légende. Comment t'appelles-tu bonhomme ?

Moi : - Je m'appelle Pierre.

Le caillou : - Tiens donc ! J'en étais sûr. Je comprends mieux pourquoi tu es triste, toi aussi.

Moi : - Ah oui ? Mais pourquoi les pierres sont tristes ?

Le caillou : - C'est une bonne question. Malheureusement, je ne connais pas la réponse. »

Je venais de comprendre que j'avais un point commun avec tous les cailloux de la terre. J'avais la ferme intention de comprendre la raison de leur tristesse. Je devais commencer par les étudier pour mieux pouvoir les aider. C'est ainsi que j'ai eu l'idée de devenir « consolateur de cailloux ». Il était inutile que j'en parle au conseiller d'orientation. Je ne souhaitais pas l'affliger davantage. Je fis donc seul mon apprentissage. Je devais mettre en place ce nouveau métier totalement inconnu de tous. J'étais un précurseur. Je devais apprendre moi-même les ficelles du métier afin de parvenir à mettre de la joie dans le cœur des cailloux. J'ai d'abord observé ces espèces minérales. Il y en a des quantités. Tout le monde sait que les pierres sont vivantes mais à part cela, sauf si elles sont précieuses, elles n'attirent personne et moi, je voulais justement m'occuper surtout de toutes les délaissées, celles qui sont ternes et qui traînent par terre, sur les chemins, les routes, les champs, les jardins et les fossés. J'ai laissé tombé les galets. Ils sont trop nombreux sur les plages et pas isolés. Ils savent rester en bande et ils sont régulièrement lavés par les vagues de la mer qui jouent avec eux. J'avais bien assez à faire avec tous les cailloux qui se retrouvaient abandonnés et solitaires. J'ai parcouru la planète entière. J'ai constaté, dans un premier temps, qu'ils souffraient d'immobilisme. Ils étaient en permanence figés comme pétrifiés et donc toujours inertes. Ce n'est pas facile de se distraire dans ces conditions. Au touché, ils étaient durs, froids et même certains étaient coupants, comme les silex. De plus, personne ne prenait jamais la peine de leur parler. Ils étaient négligés ou piétinés. Ils recevaient parfois des coups de pieds. Ils étaient aussi appelés « caillasse » par tous ceux qui les détestaient. Bref, ils étaient martyrisés. Comment faire pour leur redorer leur blason ? Certains les utilisaient pour casser des vitres en les lançant très fort. Pourtant, il suffit de penser au Petit Poucet. Sans les cailloux, il serait toujours perdu dans la forêt avec ses frères. Mais ça, tout le monde l'oubliait.

Ma première tâche, en tant que consolateur de cailloux, fut de les ramasser un par un. En marchant, j'avais toujours les yeux par terre. Quand je croisais la route d'un caillou solitaire, je le mettais dans une de mes poches de pantalon, puis dans celles de ma veste. Je m'équipai rapidement d'un grand sac à dos devenu très lourd en fin de journée. Je pouvais ainsi rapporter à la maison des centaines de cailloux. Avant de les mettre dans mon jardin, je les lavais dans ma baignoire puis, je les essuyais avec beaucoup d'application et d'amour. J'aimais mon métier. Ensuite, avant d'aller me coucher, je leur racontais des histoires. Leur préférée était celle de la soupe à cailloux. Moi aussi, je l'aimais beaucoup. Il s'agit d'un mendiant affamé qui frappe à la porte d'un restaurant, espérant que le patron lui offrirait un repas. Comme il n'a pas d'argent, le mendiant lui propose, en échange, de lui apprendre la recette de la soupe à cailloux. Intéressé, le restaurateur accepte et suit les conseils du mendiant pour réaliser cette fameuse soupe. D'abord, il devait prendre une grande marmite, la remplir d'eau et mettre cette eau à bouillir. Ensuite, dans l'eau bouillante, il devait mettre un ou deux cailloux, selon leur taille. Pour donner plus de goût, il devait ajouter beaucoup de légumes et de la viande de qualité sans oublier de saler et de poivrer. Quand tout était cuit, il fallait servir chaud. Le mendiant pouvait alors manger gratuitement et il repartait le ventre plein.

Mes cailloux riaient à chaque fois. Après l'histoire, toute la maison s'endormait paisiblement.

Le lendemain, avant de mettre en tas tous les cailloux, au milieu du jardin, je les peignais de jolis couleurs.

Mon tas s'est vite transformé en petite montagne que j'escaladais pour atteindre le sommet. Puis un jour, ma montagne fut tellement grande que l'on pouvait la voir de très loin. Un matin, je suis monté tout en haut et pour me faire rire, les cailloux ont glissé sous mes pieds. Ce fut une très belle avalanche. Tout mon jardin fut recouvert de merveilleux cailloux multicolores. C'était magnifique. De nombreuses personnes venaient de contrées lointaines pour admirer mon jardin.

Je suis devenu très célèbre et très demandé par des propriétaires richissimes.

Le mois prochain, je pars sur la lune. Tous les cailloux lunaires sont heureux de m'accueillir chez eux. Ensuite, j'irai sûrement sur Mars.

J'ai maintenant 264 ans et je ne suis pas prêt de prendre ma retraite. Je fais le plus beau métier du monde.

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