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Je suis un vase de Chine incassable, fabriqué au Japon.

A la sortie de l'usine, on m'a collé une étiquette portant la mention succincte "Vase de Chine incassable". J'étais fier des magnifiques dessins à l'ancienne qui ornaient mes flancs.

Les autres vases ont eu droit à une petite étiquette supplémentaire "Made in Japan". On m'a oublié dans cette affaire et je crois que cela a été pour moi la première perte de point de repère quant à mon origine. Mais enfin, j'étais toujours un vase de Chine incassable et j'étais impatient de découvrir le monde.

En effet, je fus acheminé par bateau au-delà des mers dans un bazar où je bénéficiai d'une nouvelle étiquette, Fr. 18.50, qui me fut elle aussi prestement retirée lorsque je fus acheté, puis revêtu d'un papier festif. J'étais devenu cadeau d'anniversaire et je fus offert à une personne qui s'empressa le lendemain de me remiser au fond d'un placard.

Cela me donna beaucoup de temps pour réfléchir et je passai de longues heures à discuter avec le balai-brosse et la serpillière, mais je ne me réalisais pas dans ma destinée de vase et j'avoue que je m'ennuyais un peu.

Puis vint le déménagement. Les meubles s'entassaient dans le camion alors que j'étais sorti devant la maison avec divers objets hétéroclites et quelques sacs poubelle. Un orage éclata et je fus bientôt rempli d'eau; un gamin de passage m'emporta alors pour asperger ses copains. Puis les gosses me remplirent de perles de toutes les couleurs, de petits cailloux précieusement choisis et de bonbons et je devins trésors d'enfants. J'avoue que cela fut une des plus belles périodes de mon existence.

Les enfants grandirent et je me retrouvai au grenier. Ma peinture s'écaillait par endroits et le bord de mon col était un peu ébréché, j'avais même une légère fêlure datant d'une chute sur le sol.

Je découvrais que la Chine n'était qu'une illusion, le Japon un pays lointain et que je n'étais pas incassable.

Un an plus tard, je trônais dans une vieille brocante qui vendait de tout et
c'est là que Madeleine me trouva et m'emmena chez elle.

Madeleine était une vieille dame très modeste dont le fils était jardinier.
Dans un monastère. C'est là-bas qu'elle me transporta un beau matin.

-Tiens, dit-elle à son fils qui venait à sa rencontre dans sa robe de bure, je t'ai apporté un vase pour les fleurs. Il est un peu ébréché mais il est beau et il a l'air solide. J'espère qu'il n'est pas d'un style trop exotique pour le monastère ajouta-t-elle malicieusement. Son fils sourit. Je me sens bien ici.

Je suis installé devant une fenêtre ouverte. Ce matin, le jardin est rempli de végétation, de bourdonnements d'insectes et d'harmonie.

Au-dessous des fleurs des champs que je contiens, un ancien dragon chinois rouge et or, peint sur l'une de mes faces, reluit au soleil levant.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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