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Maître Dindon de Castellagnac, affublé de son plus beau costume noir intense à reflets métalliques, sur lequel on pouvait admirer un joli nœud papillon rouge à points bleus, se rendait à la ville, fier comme un paon, voir une pièce de théâtre de Georges Feydeau.

En chemin, il se mit à parader en gloussant grossièrement et en étalant fièrement les plumes de sa queue devant quelques dindes dont il imaginait déjà la chair toute moelleuse, sucrée salée, à la vanille persillée... Hum... bientôt Noël se dit-il, elles vont se mettre sur leur trente et un, je vais pouvoir me farcir quelques-unes de ces idiotes !

Et elles, de susurrer entre elles : regardez les filles, c’est le gros Noir du Bourbonnais, vous savez, le Dindon de la farce ! Paul, le fermier, lui a fait une bonne blague en l’envoyant au théâtre rejoindre sa soi-disant belle ! S’il savait…. Ouh la la, il serait furieux ! Allez, préparez-vous, en attendant son retour, on a du boulot, lança celle qui semblait être la chef des dindes.

Maître Dindon de Castellagnac ne faisait cas des glougloutements de ces jeunes dam’oiselles.. Il repartit, la tête haute, les glous au vent, déambulant maladroitement. Je ne suis pas une poule mouillée, je vais à un rendez-vous de la plus haute importance, pensa-t-il tout bas.

Un souffle bucolique planait sur cet écrin de verdure éclos au milieu de nulle part.

Maitre Dindon se dirigeait vers la ville où il avait rendez-vous avec la plus majestueuse des dindes, Mademoiselle Melissandre de La Rochechouart, de 10 ans sa cadette. Elle était belle, la coquine avec son bonnet rouge qui pendait nonchalamment  sur son bec ! Maître Dindon en rêvait toutes les nuits. Il pouvait avoir toutes les femelles qu’il voulait en claquant du bec, mais celle-ci, plus sauvage que les autres d’ailleurs, avait plus de cervelle qu’un moineau et surtout une élégance raffinée qu’il n’avait jamais retrouvée ailleurs.

Quelle ne fut pas sa surprise en l’apercevant devant le théâtre au bras de son meilleur ami, Monsieur Cochon d’Indes….

-         Maitre Dindon de Castellagnac, je vous présente Monsieur Cochon d’Indes, lança Mademoiselle Mellisandre un sourire aux lèvres…  Vous vous connaissez ?

Maître Dindon ne pouvait dissimuler sa rage.

-         Bonjour, Monsieur Cochon d’Indes, dit-il en reprenant son souffle. Vous allez au théâtre ? Bouh.. quel ennui ! Il y a tellement mieux à proposer à Mlle Mellisandre, je vous aurais cru plus inventif... En fait, je passais juste par là par hasard... Vous savez, je n’ai point besoin d’aller au théâtre, dans ma basse-cour, c’est le théâtre tous les jours ! Je m’y amuse follement au milieu de ces dames dindes..

Sur ces entrefaites, Maître Dindon, noir de jalousie, tourne les talons, et de rage, décide de rejoindre ses copines... Elles sont stupides, mais avec elles au moins, je suis le roi... se dit-il. Elles adorent se faire dorloter et se faire caresser les plumes, et surtout, elles sont fort dociles.. Comme ça, Mlle Melissandre n’en sera que plus jalouse.. Je suis sûr qu’elle fait partie des ces dindes sauvages et déterminées qui organisent en permanence des stratagèmes pour draguer, à commencer par ignorer le beau dindon que je suis pour que je m’intéresse à elle.. Sûr qu’au fond d’elle, elle ne peut résister à mon charme fou ; d’ailleurs, je l’ai bien lu dans ses yeux, elle en pince pour moi ! Certainement qu’elle se pavane aux bras de mon meilleur ami pour me rendre jaloux... bouh.. c’est le genre compliqué, le genre à penser qu’elle s’est raffermi avec l’âge et qu’elle vaut son pesant d’or.... Mais je l’aurais !

Sur cette note optimiste, Maître Dindon s’en retourna à la basse-cour, certain, là-bas d’y retrouver ces naïves de dindes qui font confiance aux énergumènes de leur espèce les yeux fermés.

Plus il s’approchait, plus il entendait un brouhaha insupportable qui montait du poulailler...

Quelle ne fut pas sa surprise en arrivant, de voir ses congénères brandissant des pancartes où il était noté l’inscription « ni dindes, ni soumises »... Maître Dindon était choqué. Qu’est-ce-qui leur prenait ? Toutes répétaient ce slogan en chœur... Ses copines de jeux étaient devenues déterminées et rebelles, et faisaient scandale dans la basse-cour ! Paul, caché derrière la remise, était mort de rire...

Les dindes se mirent à parler à Maître Dindon de liberté, de droits, de devoirs tout en bousculant toutes les idées reçues... Et tandis que des glougloutements scandaient «  Ni-dindes-ni-soumises-nous-ne-nous-laisserons-pas-plumer-les-bras-croisés ! », Maître Dindon, épuisé, écœuré même, s’en alla chercher un coin tranquille pour se remettre de ses émotions.

Ce jour-là, il découvrit toute la complexité du désir féminin...

Les dindes ne sont plus ce qu’elles étaient... pensa-t-il amèrement.

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