Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

LIVRE : Richard Morgiève, «Un petit homme de dos.».

Mietta parle de lui-même à la troisième personne. Pourtant l’auteur dit «je».
Entrer dans ce paradoxe, c’est prendre le chemin d’une plongée émouvante dans la petite enfance. Celle de l’auteur, un homme de quarante ans retrouvant les mots d’un enfant de quatre ans. Les mots du cœur.

Pourquoi les livres arrivent-ils toujours au moment précis où on a tellement besoin d’eux ? C’est la question qu’une fois de plus je me posais en écoutant cette émission de France-Culture où j’eus le privilège d’entendre la voix de Richard Morgiève. Sa voix d'homme encore jeune, sensible, timide. Mais féroce. Cette férocité de la sincérité qu'ont ces voix profondément humaines, fragiles. Ces voix de «poètes»…
«Il ne faut jamais re-écrire quelque chose qui a déjà été écrit, sinon ce n’est pas de la vraie poésie» .

Déjà écrit - "même par soi-même" - ai-je aussitôt renchéri en mon for intérieur. N’ayant de cesse, depuis, de faire une chasse impitoyable à la tentation de reprendre certaines phrases ayant déjà fait «mouche» dans certains de mes anciens textes. Ne jamais écrire quelque chose qui a été déjà été écrit sous-entend « gratter » à l’intérieur de soi, dans l’instant, au plus profond. Sans compromission. Ce qui est «là», aujourd’hui. Par nature, différent de la veille. Unique, nouveau. Donc, vrai. Authentique.

Même si pour cela, il faut « inventer »... Autre paradoxe : «Il faut mentir pour "mieux" dire la vérité !», deuxième phrase de l’auteur m’ayant définitivement conquise. Phrase o combien rassurante, libératrice ! Mélange de biographie et de fiction : l’autofiction.
Inventer pour être au plus près de «sa» vérité. Une vérité par essence tellement subjective, tellement personnelle, bien au-delà de la seule « réalité » ! Une vérité qui fait que deux héros de la même histoire ne la vivront pas de la même manière. Cette petite phrase m’a donnée le courage de chercher en moi cette vérité. « Ma » vérité. De faire de ma propre souffrance un tremplin vers l'écriture. Et vers la guérison. Car c’est bien de guérison qu’il s’agit, l’auteur ne s’en cache pas.

Cette interview a été une révélation pour moi. Une palette de possibilités nouvelles s’ouvrait à moi pour tenter d’exprimer la douleur qui torturait mon cœur depuis plus d’un an. La colère m’étouffait, les mots se bousculaient... je ne parvenais pas à restituer les faits exacts qui avaient engendré une telle souffrance au sein de ma propre famille. L’auteur aussi parle de sa famille. Il remonte bien avant sa naissance, narrant – « imaginant »- la  rencontre, les sentiments, de ses géniteurs. C’est dans cette partie du livre qu’il dit «je». Puis, la naissance de ses frères et sœurs, et surtout, la présence de cet ami de la famille, disparu, le fidèle et aimant "Mietta". Prénom que lui donneront ses parents, en souvenir de ce dernier. C'est à partir de sa naissance qu'il commence (et c'est poignant) à parler de lui à la troisième personne -"Mietta" - comme le font les tout petits enfants...

Un livre sans colère. Un livre tout en amour. Comme si l’auteur voulait « se » préparer le chemin sa venue au monde, s’approprier lui-même sa propre conception, son existence. Dire "oui" à la vie. A "sa" vie. Acception que j’avais moi-même tant de mal à intégrer au moment où ce livre m’a été envoyé du ciel. Oh, je ne prétends pas, bien sûr, avoir obtenu la guérison à la seule lecture de ce livre. Mais cet auteur m’a ouvert les yeux sur la nature de mon besoin vital d’écrire au moment précis de ce traumatisme qui a ébranlé notre famille. Traumatisme lié au "père".

Il m’a ouverte à ce qui est pour moi « la littérature » : cet élan, ce chant du cœur. Il m’a montré que ce qui souffre en nous, c’est le tout petit enfant, privé de mots, mais "tout amour". Et qu'en créant les mots de ce petit enfant, on pouvait remonter à la source de cet amour. Amour blessé, peut-être, mais intact. Et que, là, réside notre force. Avec laquelle il fallait tenter de renouer.

Il parle en véritable amoureux de ses parents. Quelle leçon d’amour !
Amour pour son père.... cet homme qu’il appelle - d’où le titre - «Un petit homme de dos». Trouvant les mots/solitude d’un enfant voyant faiblir son père. Fléchir, renoncer. Tourner le dos…
Amour pour sa mère... Mietta a trois ou quatre ans. Il grandit. Jusqu’à ce gouffre - le joyau du livre - la mort de sa mère.
Mots/larmes, mots/sanglots, mots/enfants pour décrire cette chose «plus grave que la fin du monde», la mort d'une mère. Mots qui arrachent les larmes. Pas des larmes de sel, pas de celles qui libèrent, non, car on ne «pleure» pas, on ne «peut» pas pleurer. Tout comme l'enfant trop petit, submergé par cette indicible catastrophe, ne peut pas pleurer. Ces larmes d’enfant que chacun de nous a enfouies en soi, refoulées, et qui font de nous ce que nous sommes. L'auteur parvient à trouver les mots de ces larmes impossibles, ces larmes crucifiées, pétrifiées. Bien qu'il ne s'agisse pour personne du même contexte familial, la musique de cette petite voix d'enfance qui auréole les mots de ce livre s'adresse à tout un chacun. Et l'émotion reste intacte à chaque nouvelle relecture. Véritable émotion «poétique».

L’auteur parle de ses parents ; il ne parle «que» de ses parents. De la capitulation du père après la mort de sa femme. Ce père "tournant le dos" à la vie, "abandonnant" son enfant, déjà orphelin.... Une véritable action de grâce, pourtant, envers des parents grâce auxquels, dit-il, il est «en train de devenir l’écrivain qu’il a toujours voulu être». Quelle leçon d’écriture... et quelle leçon de pardon ! Devenir écrivain, l’auteur n’y était pas prédestiné. Un homme simple, "mauvais" élève de surcroît, surtout en français... Devenir écrivain par la souffrance. Cette souffrance insondable d’enfant qu’il a eu le courage, la force, de sonder. Trouvant le goût, l’odeur de ces mots tendres, ces mots immenses de l’amour immense d’un enfant pour ses parents.

Vraiment, les mots du cœur.

«Vous ne répondrez plus au téléphone, vous raterez votre station de métro, mais qu’importe, vous aurez lu un chef d’œuvre !» (Caroline Bongrand - « Elle »).

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :