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Aurore, 10 ans - décembre 1975

 

C'est quoi ici ? C'est où ici ?

Cette lumière est si blanche, si éblouissante. Elle me fait mal aux yeux. Et puis, il y a personne pour l'éteindre. Je suis toute seule. Et je suis trop petite pour sortir de ce drôle de truc où ils m'ont mise. C'est une pièce toute blanche avec des rideaux blancs aux fenêtres, même pas transparents non, tout blancs. Et puis, ce drôle de truc qui ressemblerait tellement à un lit s'il n'y avait pas de drôles de barreaux sur les côtés, ce drôle de truc aussi, il est tout blanc. Ils n'ont pas de peinture ici ?

On m'a laissée seule avec juste cette lumière qui m'aveugle, qui entre en moi comme si je lui appartenais. Pourtant plus rien n'entre en moi, ni air, ni son... c'est ce qu'ils ont dit tous ces hommes en blouses blanches. Encore du blanc. J'aimerais tant voir du rose ou du violet, ou même du jaune... Non, ce blanc est là, omniprésent. Il m'agresse et m'oppresse.

Tous ces gens en blanc, avec leur tête penchée sur moi, et leurs grosses lunettes qu'ils remontent parfois sur leur nez comme pour faire croire qu'ils réfléchissent à Dieu sait quoi, tous ces gens, c'est ce qu'ils ont dit à maman. Alors, elle est partie. Elle est retournée au village parce qu'elle devait s'occuper de mon grand-frère.

C'est peut-être parce qu'il y a une belle lumière toute blanche qu'elle a eu confiance maman. Qu'elle m'a laissée toute seule avec toutes ces ombres blanches qui entrent et qui sortent. Elle a toujours aimé la lumière maman. Et ici, il y en a. Et beaucoup. Déjà, dans cette drôle de voiture qui m'a conduite ici, il y avait cette lumière étrange. Mais celle-là, elle s'allumait, elle s'éteignait, se rallumait, s'éteignait encore. Alors, je jouais à ouvrir et fermer les yeux en même temps. Et puis, là, il y avait une musique. Horrible, mais une musique quand même. Ici, il fait trop silence, il fait trop calme, il fait trop rien.

Ici, c'est vide.

Ca sent comme quand grand-père est parti au ciel dans sa belle caisse toute pleine de fleurs. Là oui, c'était beau. Il y avait des fleurs de toutes les couleurs, des jaunes, des roses, des rouges, des bleues... Il était beau grand-père dans son costume trois-pièces au milieu de toutes ces couleurs. Et puis, il avait un petit sourire calme que j'avais jamais vu avant.

Moi je me souviens que je voulais juste fermer les yeux, je voulais juste dormir. Pourquoi ils venaient pas l'éteindre, cette lumière. Et toi, maman, où étais-tu ? pourquoi tu ne venais pas l'éteindre, toi, cette lumière ?

Dans la drôle de voiture, je jouais avec, et puis il y avait la musique, et puis tu étais là maman. Tu me serrais la main et j'étais bien au chaud contre ton coeur.

Dans la voiture, je savais pas encore que tu m'emmenais à l'hopital, alors j'étais contente d'être dans tes bras. Je savais pas que toutes ces blanches blanches m'avaient déjà condamnées.

Je savais pas tout ça maman. Après j'ai compris pourquoi il faisait si froid et qu'il n'y avait pas de musique. Mais ils se trompaient. Je n'allais pas retrouver grand-père. Pas encore. Je n'avais que dix ans.

Tu as dû entendre mes prières maman. Tu es venue me rechercher. Ils ne voulaient pas me laisser partir tous ces gens en blans, ils voulaient m'emprisonner dans cette chambre blanche aux rideaux blancs. Mais tu as refusé maman. Tu as refusé qu'ils fouillent mon petit corps au nom de leur ignorance, simplement pour mettre des mots sur leurs doutes. Tu as refusé qu'ils me gardent et tu es passé à travers eux pour venir me chercher. Tu m'as prise dans ce grand lit blanc et tu t'es précipitée dehors pour me faire voir le soleil. Le vrai soleil. Celui du bonheur d'être à nouveau dans tes bras maman, d'être vivante tout simplement.

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